Les injectables : une maturité lente, mais sûre

Pour traiter une pathologie, l’état de santé du patient et la voie d’administration souhaitée conditionnent le choix du médicament et sa forme galénique¹. La forme injectable, longtemps crainte et dénigrée, connaît une croissance importante à partir de la fin du 19e siècle. Elle s’impose aujourd’hui parmi les meilleurs atouts de la pharmacie galénique. Une réussite qui tient aussi à l’évolution des contenants. Retour sur plus de 150 ans d’innovation et de développement.

L’idée d’utiliser la voie parentérale pour administrer un médicament dans le corps humain n’est pas récente. Elle apparaît dès le 17e siècle, peu de temps après la découverte de la circulation sanguine. Mais les résultats peu probants des premières injections (infections, embolie gazeuse, toxicité des produits) freinent leur développement. À tel point qu’au début du 19e siècle, le Dr Barbier, médecin à l’Hôtel-Dieu d’Amiens déclare «  Nous ne ferons ici qu’une simple mention de ce procédé. Il présente trop d’inconvénients, même de danger, pour devenir jamais usuel ». Pourtant, l’injection intraveineuse réapparaît quelques années plus tard. Elle n’est alors réalisée qu’en dernier recours, lorsque le patient est dans un état critique.

Il faut attendre Pasteur pour comprendre l’origine des nombreux cas d’infections. Ils sont dus à la présence de microorganismes dans les  médicaments injectables et au manque d’asepsie lors des injections. Dès 1895, la pharmacopée française publie une méthode de stérilisation qui devient obligatoire pour les formes galéniques injectables. Grâce à cette mesure et à la mise en place de bonnes pratiques d’administration, les médicaments injectables si longtemps décriés, obtiennent enfin leurs lettres de noblesse. À l’aube de la Première Guerre mondiale, la première édition du Dictionnaire des Spécialités Pharmaceutiques² recense 40 produits injectables.

Des produits injectables de plus en plus élaborés

Au début du 20e siècle, le recours aux solutés de perfusion va crescendo, en particulier dans le traitement des maladies infectieuses et des hémorragies. Dès 1926, la pharmacopée française référence les solutions glucosées, puis, dix ans plus tard, les solutions de bicarbonate. Leur utilisation lors des grands conflits mondiaux apporte de nombreuses améliorations et les préparations deviennent de plus en plus complexes. Les premières émulsions de lipides injectables apparaissent dans les années 60 et sont reconnues comme indispensables en nutrition parentérale. Les hôpitaux se dotent alors d’unités spécialisées pour la préparation de mélanges à la carte.

Sur la même période, une nouvelle technique de conservation voit également le jour : la lyophilisation³. Issue de l’industrie alimentaire, elle suscite un réel engouement auprès de l’industrie pharmaceutique. Ce procédé qui préserve la structure des produits est employé pour les sérums, certains vaccins et les produits dérivés du sang comme le plasma humain. Dans les dernières décennies du 20e siècle, l’éventail des produits pouvant bénéficier de la lyophilisation s’élargit aux molécules instables en solution qui nécessitent une reconstitution avant l’administration au patient.

Aujourd’hui, les médicaments injectables sont quasi exclusivement fabriqués par l’industrie pharmaceutique. La recherche scientifique menée au sein des laboratoires développe des produits toujours plus novateurs et efficaces. Les nouvelles formes galéniques sont majoritairement administrées par voie intraveineuse, les solutés servant de véhicule thérapeutique. C’est le cas par exemple pour les nano-médicaments.

De la plume d’oie à l’aiguille, des contenants réutilisables à l’usage unique

Perfusion 1667La montée en puissance des solutions injectables est indissociable de l’évolution des moyens d’administration et des contenants. L’arrivée de nouvelles matières premières bouscule en effet les pratiques d’administration et de conservation des produits intraveineux. Au 17e siècle, il faut dénuder la veine et l’inciser avant de pratiquer l’injection avec… une plume d’oie ! Quant aux médicaments injectables, ils sont conditionnés dans un récipient réutilisable prolongé d’un tuyau. Peu avant 1850, Charles Pravaz révolutionne l’administration des injectables en inventant une aiguille creuse en argent. Innovante le corps en verre de la seringue Pravaz permet de contrôler la quantité de médicament injecté. Peu à peu,  les seringues à usage unique détrônent les seringues réutilisables traditionnelles en verre.

Fin 19e, les premières ampoules unidoses, qui peuvent contenir jusqu’à 1000 ml de solution, font leur apparition. Il n’est plus nécessaire de transvaser le liquide, elles sont prêtes à l’emploi ! La partie supérieure de l’ampoule en forme de crochet est suspendue tandis que la pointe inférieure, une fois cassée, est reliée au patient par un tube muni d’une aiguille. La perfusion se réalise ainsi par gravité. Les flacons de verre gradués (réutilisables) dotés d’une chambre compte-gouttes leur succèdent jusqu’à l’arrivée des matières plastiques. À partir des années 1970, les polymères de synthèses sont utilisés pour la fabrication de nouveaux contenants : les poches souples. Résistantes et légères, elles se déclinent dans une large gamme de volumes. D’abord fabriquées en PVC, puis en PP, EVA ou FEP, les poches souples permettent en fonction de leur nature, la compatibilité avec la majorité des médicaments injectables. Et les avantages sont considérables : système clos, transparence, inertie du matériau, multi-compartiments, tolérance aux températures négatives, barrière aux UV, etc. Elles sont également utilisées pour des produits instables tels que les mélanges ternaires de nutrition parentérale, certains antibiotiques et anticancéreux, en préparation au moment de l’utilisation.

C’est à l’issue d’un long périple de près de deux cents ans que les produits injectables atteignent le niveau de qualité que l’on connait aujourd’hui. Leur développement, étroitement lié à celui des moyens d’administration et des contenants, ont rendu la perfusion simple et sécurisé. Car en dépit de leur maturité tardive, les médicaments injectables occupent désormais, dans la thérapeutique moderne, une place prépondérante. Ce que le médecin physicien allemand Michael Ettmüller pronostiquait dès 1668: « Il n’y a point de secours plus prompt que l’infusion dans les maladies subites et aigües ».


¹ La forme galénique d’un médicament correspond à la forme physique sous laquelle il sera administré.
² Le Dictionnaire des spécialités pharmaceutiques a été publié par Louis Vidal et Henri George en 1914. Rapidement, seul le nom de Vidal reste. En 1976 il est devient l’ouvrage de référence des monographies de médicaments.
³ La lyophilisation ou cryodessiccation consiste à éliminer progressivement l’eau d’un produit préalablement congelé en abaissant la pression de l’enceinte où il se trouve. L’eau passe ainsi de l’état solide à la vapeur sans passer par la phase liquide.

Sylvie Ponlot