L’essor de la recherche pédiatrique

« Il faut arrêter de tâtonner dans le domaine des médicaments pédiatriques. Les enfants souffrent et meurent de maladies que nous pouvons traiter et pourtant, nous ne disposons pas de données essentielles pour délivrer des médicaments adaptés, efficaces et abordables qui pourraient les sauver ». En 2009, le Docteur Carissa Etienne¹ dénonçait déjà le manque de traitements thérapeutiques spécifiquement développés pour la population pédiatrique.

Alors qu’un quart de la population mondiale est constituée d’enfants de moins de 15 ans, les médicaments propres aux enfants ne se sont pas développés aussi vite que pour les adultes. Parmi les raisons qui expliquent ce décalage, la première invoquée est l’éthique. Le spectre des dérives de l’expérimentation médicale sur des êtres humains réalisées au milieu du 20e siècle en est en partie responsable, et la crainte de fragiliser la protection des personnes vulnérables a longtemps été présente. Les enfants sont donc tenus à l’écart de la recherche clinique qui se focalise sur les adultes jusqu’aux années 1980. À partir de cette date, un changement d’opinion s’opère graduellement et on prend conscience que pour bénéficier du même niveau de santé que le reste de la population, les enfants nécessitent des traitements spécifiquement adaptés, et donc étudiés exprès pour eux.  Les résultats des études menées sur les adultes ne peuvent en effet pas être transposés à l’enfant.

Malgré cela, un obstacle principal demeure, l’obtention du consentement éclairé pour participer à un essai clinique. Difficile à obtenir chez les adultes, il l’est encore plus chez l’enfant mineur car il doit être donné par les deux parents. Autre responsable impliquée, la raison économique. Si les adultes constituent un groupe homogène, la population pédiatrique est divisée en plusieurs tranches d’âge². Chacune d’entre elles possède des métabolismes spécifiques qui réagissent différemment aux traitements. Un nouveau-né élimine lentement le principe actif et demande des doses moins importantes alors que c’est l’inverse pour un nourrisson. Cela implique de développer des formulations spécifiques et de multiplier les essais en fonction des différentes classes d’âge, ce qui rend ces études beaucoup plus complexes et coûteuses. Autre particularité, la plupart des maladies qui affectent les enfants leur sont propres ou sont des maladies orphelines³. C’est notamment le cas en cancérologie où 80% des cancers pédiatriques sont spécifiques à l’enfant. Les investissements liés à la recherche clinique pédiatriques sont donc beaucoup plus lourds et plus difficiles à rentabiliser que pour les adultes. Il est pourtant essentiel de réaliser des essais cliniques spécifiques sur cette population.

Des approches alternatives risquées

Les médicaments ne disposant pas d’une AMM pédiatrique étant nombreux, cela entraine une prescription encore fréquente de produits non évalués sur cette population. Ils sont préparés à partir de formes destinées à l’adulte : déconditionnement de médicaments, comprimés et gélules fractionnées, doses ajustées, dilutions, etc. Utilisés hors indications, sans posologie pédiatrique, et sans formes galéniques adaptées, les produits sans AMM pédiatriques exposent les enfants à des erreurs d’utilisation, des erreurs de dosage, des risques de toxicité ou à un échec thérapeutique. L’enfant n’est pas un adulte miniature : ses organes sont à différents stades de croissance, entraînant un métabolisme différent, et son système immunitaire est en pleine évolution.

Le Règlement Pédiatrique Européen stimule la recherche clinique pédiatrique

Mis en place en 2007, le Règlement Pédiatrique Européen impose aux laboratoires pharmaceutiques de déposer un Plan d’Investigation Pédiatrique (PIP). Il ne s’adresse pas seulement aux produits en cours de développement. Il s’étend aussi à ceux qui bénéficient déjà d’une AMM ou qui ne sont plus protégés par un brevet. Par le biais du PIP, le laboratoire publie les mesures nécessaires qui démontrent la qualité, la sécurité et l’efficacité du médicament sur la population pédiatrique. En contrepartie, les laboratoires se voient octroyer des extensions de brevets ou des statuts d’exclusivité. On voit ainsi les essais cliniques pédiatriques augmenter. Ils incluent aujourd’hui des catégories de populations autrefois non évaluées compte tenu de leur fragilité, comme les nouveau-nés, et le nombre requis de participants a été réduit pour en faciliter le recrutement. Dix ans après la mise en œuvre du Règlement Pédiatrique Européen, le bilan est encourageant, même si, le cycle de développement des médicaments étant très long, il faudra attendre plusieurs années pour que les résultats soient réellement perçus.

Sylvie Ponlot

¹ Le Dr Carissa F. Etienne a été élue Directeur de l’Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS) par les États Membres de l’Organisation le 19 septembre 2012 et a débuté son mandat de cinq ans le 1er février 2013. De mars 2008 au 1er novembre 2012, le Dr Etienne a été Sous-Directeur général chargé des Systèmes et Services de Santé à l’Organisation Mondiale de la Santé à Genève (Suisse)
² Prématuré ; nouveau-né de la naissance à 1 mois ; nourrisson de 1 mois à 1 an ; petite enfance de 1 à 4 ans ; enfants de 5 à 11 ans ; adolescence de 12 à 18 ans.
³ Sur les 7 000 à 8 000 maladies orphelines identifiées, la moitié touchent les enfants de moins de 5 ans