L’AMA, le super régulateur africain

Les agences de réglementation des médicaments évaluent, surveillent et garantissent la sécurité des produits médicaux avant et après leur mise sur le marché. Présentes dans une grande majorité de nations, elles font cependant défaut dans plusieurs régions du monde. C’est le cas de l’Afrique. Fortement impactés par la contrefaçon de médicament et le manque d’industries pharmaceutiques, les pays de l’Union Africaine ont décidé de relever les défis que représentent la couverture et la sécurité sanitaire universelle.

L’Afrique, qui compte 1,2 milliards d’habitants, recense à peine plus de 350 fabricants de médicaments et quelques producteurs qui conditionnent des médicaments achetés en vrac. Le constat est sans appel. A titre de comparaison, l’Inde et la Chine qui totalisent chacune 1,4 milliards d’habitants, dénombrent respectivement 5 000 et 10 500 producteurs de médicaments. Si l’on exclut les extrêmes nord et le sud du continent où l’industrie est suffisamment développée pour fournir la population locale, l’Afrique est donc largement dépendante des grands groupes pharmaceutiques. Environ 80 % des malades sont sous traitement grâce à des ressources produites hors du continent. Mais ces nombreuses importations sont lourdes de conséquences. La complexité de la chaîne d’approvisionnement et la multiplication des intermédiaires entraînent inévitablement un impact négatif sur le coût des produits. Une répercussion qui, combinée à la pauvreté et au manque de couverture de santé dans la plupart des pays, incite la population à se tourner vers les marchés parallèles.

Un nouveau pas pour endiguer le trafic

Antipaludéens, antidouleurs, antibiotiques, vaccins, il y a pléthore de médicaments contrefaits. Qu’ils soient simplement de qualité inférieure, ou totalement falsifiés, ils inondent le marché et représentent en moyenne 50 % des produit médicaux. Outre la revente sur les marchés de plein air¹, on les retrouve aussi dans les établissements de santé. En avril dernier, une version falsifiée de la chloroquine a été identifiée dans plusieurs pharmacies et hôpitaux du Cameroun. Le médicament était complètement dépourvu de principe actif !

Face aux chiffres terrifiants de la mortalité² dus aux produits contrefaits, les dirigeants de plusieurs pays africains (Congo, Gambie, Ghana, Niger, Ouganda, Sénégal et Togo) ont décidé de réagir fermement. En lançant l’opération baptisée « Initiative de Lomé », ratifiée unanimement, les signataires s’engagent à combattre plus efficacement les trafiquants. Parmi les résolutions adoptées, la mutualisation des efforts qui assurera une meilleure coopération entre les services gouvernementaux et un partage efficace des informations. Autres mesures annoncées, renforcer les lois en vigueur, veiller à leur stricte application et surtout introduire des sanctions pénales conséquentes pour criminaliser le trafic des produits de santé à l’exemple du Togo. Dès 2015, le pays a révisé son code pénal : le trafic n’y est plus considéré comme un simple délit de contrefaçon comme dans la plupart des pays africains, il est criminalisé. Les peines d’emprisonnement ont été alourdies et assorties d’amendes de plusieurs millions de francs CFA. En parallèle, un autre objectif adopté consiste à augmenter le nombre de pharmacies officielles et d’établissements de santé dans les zones reculées. Cela revient à mettre en place des circuits de distribution centralisés pour diminuer l’exposition de la population aux risques des médicaments falsifiés. La moitié des habitants de ces pays est en effet installée dans des régions très rurales et n’a pas accès aux traitements essentiels. Un risque important de santé publique.

Un seul et unique régulateur

Condition sine qua non pour que l’industrie pharmaceutique puisse se développer efficacement et durablement, il est primordial d’harmoniser la réglementation en matière d’enregistrement et de contrôle des produits de santé. Déjà évoqué en 2015 par l’Union Africaine, le traité instaurant la création d’une Agence de Médicament Africaine (AMA) a finalement été adopté à l’unanimité en février 2019. Le nouvel organisme réglementaire entrera en vigueur lorsqu’il sera entériné par au moins 15 états membres sur les 55 qui composent l’Union Africaine. En janvier 2020, le Tchad a rejoint les 10 précédents signataires. L’AMA devra relever de nombreux défis pour assurer sa pérennité, et les objectifs ne manquent pas. Accroître l’industrie pharmaceutique et augmenter les capacités de production des industries existantes pour fournir un accès général et abordable aux médicaments essentiels, doper l’innovation et la recherche clinique pour développer de nouvelles molécules, multiplier les partenariats entre les secteurs privés et public. Pensée sur le modèle de l’Agence Européenne du Médicament (EMA), l’AMA agira sur l’ensemble du continent. Nul doute qu’elle soit vouée à devenir la pierre angulaire d’un système de santé publique durable sur le continent africain.

Sylvie Ponlot

¹ Les traitements contrefaits affichent des prix souvent deux fois moins élevés qu’en pharmacie. Ces dernières, soumises aux réglementations en vigueur, s’approvisionnent par le biais des circuits légaux des grossistes répartiteurs et sont régulièrement contrôlées.
² Selon l’OMS, les faux médicaments sont directement impliqués dans le décès de près de 200 000 enfants chaque année.